Octobre 2016, Annick présente l’association à la télévision locale KMT
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Anbabwa Arts à Canal Antilles
Septembre 2016, Henry Annette présente la philosophie de l’association sur les ondes
ENGRENAGES
Ils étaient si nombreux
Que j’en ai oublié leurs noms
Ils étaient si nombreux
Que les traits de leurs visages
Se sont effacés dans les tombeaux de ma mémoire
Ils étaient si nombreux…
Ils étaient jeunes
Ils étaient pauvres
Avec pour tout bagage dans le cœur ces rêves d’une vie meilleure
Qui luisaient dans la nuit
De l’autre côté du mur de l’océan
Ils étaient si nombreux
Ils étaient hommes
Ils étaient donc mes frères
Ils étaient si nombreux…
Grains de sable devenus
Ils gisent aujourd’hui dans les profondeurs abyssales du détroit de Gibraltar
Déchiquetés par des prédateurs invisibles
Leurs chairs tapissent les entrailles des requins-tigres
Anonymes et gorgés d’eau
Ils grelottent maintenant dans les casiers numérotés
Des chambres froides de la mythique Europe.
Ils étaient si nombreux
Ils étaient si jeunes
Ils étaient pauvres
Ils étaient hommes
Nous étions frères…
Partis de l’autre bout du monde
Chassés par la guerre
Chassés par la misère
Chassés par l’injustice
Chassés par la faim
Chassés par les canons
Chassés par le désespoir
Ils sont morts en silence
Enveloppés dans le linceul azuré de l’océan
Ils sont morts
Au nom d’une politique menée à l’autre bout de la terre par d’autres requins encravatés
Ils sont morts
Au nom de l’égoïsme implacable des nantis du monde dit-développé
Ils sont morts
Au nom de cette politique qui appauvrit des millions pour enrichir quelques uns
Ils sont morts
Pour que s’envole la courbe sanglante des dividendes des bourses de l’enfer
Ils sont morts
Pour que l’ogre du grand capital assouvisse son féroce appétit
Ils sont morts…
« Il n’est pas responsable personnellement de tout cela » me direz-vous…
» Ce n’est qu’un simple soldat, un porte étendard, qui se contentera d’obéir aux ordres des capitaines d’industrie, à ceux des maréchaux de la finance ou aux injonctions des généraux du commerce »
« Et lui aussi il est si jeune »…
Oui, oui, je sais
J’ai déjà entendu pareille rengaine
Il y a une poignée d’obus de temps
Ecolier
Dans mon livre d’Histoire…
Ils sont si nombreux
Que j’en oublie leurs noms
Ils sont si nombreux
Que leurs visages se confondent dans ma mémoire
Ils sont si nombreux ce matin
A attendre sur la plage froide et grise
Que vienne les chercher la barque fleurie de l’espérance
D’un monde nouveau plus juste, plus solidaire, plus humain…
Claude.
Travailler autrement grâce aux coopératives…
Basta ! (http://www.bastamag.net) est un site d’information indépendant sur l’actualité sociale et environnementale. Constitué d’une équipe de journalistes et de militants associatifs, Basta ! contribue à donner une visibilité aux enjeux écologiques, aux actions citoyennes, aux revendications sociales, aux mouvements de solidarité et aux alternatives mises en œuvre.
Travailler autrement grâce aux coopératives, une innovation sociale soutenue par la gauche et ignorée par la droite
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Les coopératives de salariés étaient à l’honneur de la précédente campagne présidentielle. Elles incarnaient un rempart face à la rapacité des marchés financiers : partage plus équitable des bénéfices, gouvernance participative, écarts de salaires limités, meilleure résistance que les entreprises classiques… Cinq ans plus tard, les coopératives sont plus nombreuses et embauchent proportionnellement davantage que leurs homologues capitalistes. Mais elles ont quasiment disparu du débat politique. Seuls les programmes de Benoît Hamon, auteur d’une loi sur l’économie sociale et solidaire, et de Jean-Luc Mélenchon, encouragent clairement ce modèle encore marginal. Revue de ce que proposent – ou pas – les candidats en la matière, qui sont invités ce 6 avril à s’exprimer devant le secteur de l’économie sociale et solidaire.
53% de hausse en dix ans : le nombre de sociétés coopératives et participatives (Scop – anciennement « sociétés coopératives ouvrières de production ») et de sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) ne cesse de progresser en France. Appropriation du capital par les salariés, partage plus équitable des bénéfices, gouvernance participative, écarts de salaires limités, emplois pérennes… Le modèle coopératif replace l’humain au centre de l’entreprise. Il séduit aussi par sa capacité de résistance : selon l’Insee, 65% des Scop sont toujours debout cinq ans après leur création, contre seulement 50% pour l’ensemble des entreprises françaises.
Pourtant, avec moins de 3 000 entreprises coopératives, employant 51 000 salariés – sur 15 millions de salariés au total, des micro-entreprises aux grandes entreprises – les coopératives de production demeurent ultra-marginales dans l’économie hexagonale, dominée par la structure capitalistique classique, où les détenteurs du capital et non les salariés possèdent l’entreprise. Alors, comment sortir les Scop de l’ombre ?
Un engouement pour les coopératives en 2012
Il y a cinq ans, dans un contexte où les fermetures d’usines se succédaient, la question s’est retrouvée au centre de la campagne présidentielle. « En 2012, il y avait des tas de conflits de reprise d’entreprise, et des menaces très fortes sur des sites industriels. Au meeting de Fralib (une usine de production de thé reprise par les salariés en grève, ndlr), quasiment tous les candidats de gauche s’étaient déplacés », se souvient Benoît Borrits, de l’association Autogestion. François Hollande est venu dès l’été 2011 apporter son soutien aux salariés de Fralib, licenciés par le géant Unilever et désireux de reprendre le site en Scop.
Six mois plus tard, sur le plateau de France 2, il promettait d’aider « jusqu’au bout » les couturières de Lejaby, tentées elles aussi par l’aventure coopérative [1]. Un positionnement qui annonçait le futur projet de loi de Benoît Hamon sur l’économie sociale et solidaire, voté deux ans plus tard. Le ton de cette campagne 2017 est radicalement différent. On ne s’affiche plus avec les salariés licenciés qui veulent sauver leur entreprise.
Chez les Insoumis, priorité au droit de préemption
Que proposent les candidats à la présidentielle pour soutenir le mouvement coopératif ? Parmi les cinq « favoris » des sondages, seuls Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon abordent la question dans leur projet. Le candidat de la France insoumise remet sur la table une vieille doléance : l’instauration d’un droit de préemption des salariés en cas de cession de leur entreprise. La loi Hamon du 31 juillet 2014 avait accouché d’un droit d’information des salariés sur les possibilités de reprise de leur entreprise. Insuffisant, selon François Longérinas, en charge du dossier auprès du fondateur du Parti de gauche : « Il faut amender la loi car aujourd’hui les salariés ne sont pas prioritaires pour reprendre leur entreprise. Nous voulons qu’en cas de délocalisation il y ait un droit de véto suspensif qui dépasse le droit d’information. Il faut donner la priorité aux salariés sur tout investisseur. »
Chargée des questions d’économie sociale et solidaire (ESS) au PCF, Sylvie Mayer fait remarquer qu’un droit de préemption est déjà inscrit dans la loi Hamon. Mais seulement pour les coopératives de commerçants (Leclerc, Système U, Intersport…), bien différentes des coopératives de salariés. « Quand un membre de la coopérative vend son magasin, il a obligation de le présenter aux autres membres de la coopérative », explique-t-elle. De même, note Benoît Borrits, de l’association Autogestion, « le droit de préemption n’a rien de révolutionnaire. Il existe déjà dans le domaine de l’immobilier ou des terres agricoles. »
Chez Hamon, « pacte d’intérêt général » et programme d’investissement
« Permettre aux salariés d’être prioritaires » en cas de cession de leur entreprise, Antoinette Guhl, soutien de Benoît Hamon y est « évidemment » favorable. Sans toutefois préciser comment le candidat socialiste compte s’y prendre. L’adjointe écologiste à la maire de Paris reconnaît que la loi de 2014 sur l’ESS mérite d’être complétée. Principale innovation de cette loi : la création du statut de « Scop d’amorçage », qui permet aux salariés de reprendre leur entreprise en Scop sans être majoritaire au capital. Mais cet outil s’applique surtout aux sociétés très capitalistiques.
Plus de deux ans après la promulgation de la loi, une seule Scop d’amorçage a vu le jour. On est encore loin du « changement d’échelle » que Benoît Hamon appelle de ses vœux. Pour créer 500 000 emplois dans l’ESS, l’ancien ministre compte mettre en place un « pacte d’intérêt général » entre l’État, les collectivités territoriales et les acteurs de l’économie sociale. Et débloquer un « programme d’investissement d’avenir » à destination des structures de l’ESS. Dans le même domaine chez les Insoumis, « on croit au financement hybride entre l’État et les banques coopératives. »
Chez Macron, encore et toujours, « libérer les énergies »
Qu’en dit Emmanuel Macron ? Rien, si l’on s’en tient à son programme rendu public le 2 mars. Pas un mot sur l’économie sociale et solidaire. « On n’a pas fini les rencontres avec l’ensemble des acteurs de l’ESS », justifie auprès de Basta ! Jean-Marc Borello, l’un des délégués nationaux d’En marche !, par ailleurs président du groupe SOS, poids lourd de l’ESS. « Ce sera sur notre site dans huit à dix jours. » En attendant que le candidat sans étiquette complète son programme, son délégué en esquisse les très grandes lignes : « Libérer les énergies, régler les problèmes de financement, faire en sorte que l’ensemble des aides (notamment le CICE) qui vont vers l’économie classique aillent vers l’ESS, trouver des dispositions qui favorisent l’emploi. »
Autres propositions : permettre aux coopératives de répondre aux appels d’offre et créer des « accélérateurs d’innovation sociale. » Interrogé sur le droit de préemption, Jean-Marc Borello botte en touche : « C’est une question qui concerne le droit des sociétés. Moi, je m’occupe de l’ESS. »
Au FN, « nouvelle alliance entre travail et capital »
Au moment même où le programme du candidat d’En marche ! sortait de l’ombre, Marine Le Pen tenait une conférence à Paris sur le rôle de l’État dans l’économie. Une manière pour elle de masquer la faiblesse de ses propositions en matière de soutien à l’économie sociale. La candidate du « patriotisme économique » y exprime sa volonté qu’« un Français sur deux devienne actionnaire direct d’une entreprise française ». Son but : « Conclure une nouvelle alliance entre les Français et l’entreprise, entre le travail et le capital. » Dans son discours, Marine Le Pen affiche « un engagement résolu aux côtés [des] entreprises mutuelles et coopératives, pour que les parts sociales soient pleinement reconnues comme des fonds propres, pour qu’aucune distorsion ne vienne les pénaliser, de sorte qu’elles jouent pleinement leur rôle territorial, social et solidaire. » Objectif ultime : « la reconquête des territoires perdus de la France ! ».
Comment croire à ce discours après avoir lu le programme économique officiel de la candidate frontiste ? Baisse des taxes et des charges sociales sur les PME, remise en cause des institutions représentatives du personnel… On est bien loin de la démocratie d’entreprise défendu par le mouvement coopératif. Cadres et élus frontistes sont, d’autre part, très hostiles à l’économie sociale et solidaire (lire notre article : Quand le FN préfère le bon vieux capitalisme à l’économie sociale et solidaire, trop « branchée » à son goût).
Fillon aux abonnés absents
L’appel du pied de Marine Le Pen aux acteurs de l’économie sociale se solde pour l’heure par un monologue. Doper l’actionnariat salarié ? La proposition du FN a pourtant de quoi séduire les défenseurs des coopératives. C’est d’ailleurs la principale mesure proposée par la Confédération générale des Scop (CG Scop) dans cette campagne présidentielle. Mais la lune de miel entre le FN et le mouvement coopératif n’est pas pour demain, tempère Patricia Lexcellent, déléguée générale de la Confédération : « Nous estimons que ce n’est pas tout à fait la même vision et les mêmes fondamentaux qu’il y a derrière certaines dispositions », résume-t-elle avec diplomatie.
Du côté de François Fillon, on semble croire au potentiel de l’ESS. Du moins si l’on s’en tient aux quelques lignes que l’ancien Premier ministre y consacre dans son projet. Il veut « permettre [son] essor » et « exploiter ce gisement d’emplois en lien avec la préservation de notre environnement et de notre qualité de vie ». Mais aussi « renforcer la coopération des pouvoirs publics avec le secteur de l’Economie sociale et solidaire ». Comment pense-t-il y parvenir ? On ne le saura pas, l’équipe de campagne du candidat des Républicains n’ayant pas trouvé le temps de répondre à nos questions. Seule certitude : aucune loi favorable à l’ESS n’a été votée durant les cinq années que François Fillon a passées à Matignon.
Les zones d’ombre du quinquennat Hollande
Quel que soit le prochain locataire de l’Élysée, des obstacles de taille devront être levés pour permettre le développement du secteur. Parmi eux, l’accord national interprofessionnel (ANI), signé en janvier 2013, qui empêche les salariés de contester un plan social. Symbole de la lutte contre les délocalisations, les ex-Fralib avaient fait annuler trois plans sociaux devant la justice avant de pouvoir créer leur Scop. « Ce ne serait plus possible aujourd’hui », estime Benoît Borrits. De même, la loi Florange, qui oblige les grandes entreprises à chercher un repreneur quand elles abandonnent un site de production, « n’a jamais été appliquée », regrette le co-animateur de l’association Autogestion.
Ces dernières années, nombre de PME ont mis la clé sous la porte malgré un projet de reprise en Scop économiquement viable. Dernier exemple en date : Ecopla, fabriquant de barquettes en aluminium dans l’Isère. « Ce n’est pas normal qu’ont ait mis à mort ce projet », s’insurge Sylvie Mayer. « Rembourser les créanciers est la seule chose qui intéresse les tribunaux de commerce. » Pour l’ancienne députée européenne, il faut changer la composition de ces « tribunaux du patronat », dont les membres sont choisis parmi des commerçants ou des dirigeants d’entreprises. Autre exemple emblématique : les Atelières, ex-Lejaby. En février 2015, elles ont dû jeter l’éponge par manque de soutien financier. Créée au début du quinquennat Hollande, « la Banque publique d’investissement (BPI) a refusé de financer la coopérative sous prétexte qu’elle ne faisait pas d’innovation », dénonce Sylvie Mayer. « Pourtant, elles faisaient bien de l’innovation sociale. »
Samy Archimède
Photo : Lancement de la coopérative Fralib en mai 2015 (lire notre reportage) / Jean de Peña / Collectif à-vif(s)
Comme eux…
(Ainsi parlait le vieil aborigène martiniquais)
Nous vivons comme eux… désormais.
Chacun dans sa cage de béton,
Aigri comme un jour sans pain,
Chacun dans sa petite lucarne numérique,
Connecté au royaume des ondes wifi.
Chacun dans son téléviseur à écran unidimensionnel,
Enrubanné dans le sarcophage des télénovélas.
Chacun dans son horloge cadencée au pas de l’oie,
Sous le tic-tac de plomb de l’implacable solitude.
Chacun dans son sanglant sillon quotidien,
Le front labouré des mêmes éternels soucis.
Chacun dans sa cellule 4 G, 5G, 6G…
Masturbant ses touches bavardes et muettes.
Chacun dans ses petits meubles en kit,
Taillés dans la gueule de bois du crédit à la consommation.
Chacun dans son caddy à roulettes,
Empaillé de néant et de vide.
Chacun dans le cimetière de ses passions perdues,
Egrenant le chapelet de ses rêves mort-nés.
Chacun dans ses calculs à géométrie variable,
Avec la cruelle inconnue de l’ombre.
Nous vivons comme eux.
Dans leur prison de peurs et d’objets muets,
Dans cette prison glacée qu’ils nomment « modernité », « développement », « progrès ».
Nous vivons comme eux… désormais.
Pas de temps pour se voir,
Rien que pour se dire deux mots et quatre paroles.
Pas de temps pour se rendre visite,
Rien que pour se regarder et se toucher la main.
Pas de temps pour partager un repas,
Rien que pour se taper sur le ventre.
Pas de temps pour piquer ensemble une tête dans l’eau,
Rien que pour faire quelques vagues.
Pas de temps pour écouter chanter la nuit,
Rien que pour savourer la musique des étoiles.
Pas de temps pour blablater autour d’un verre,
Rien que pour respirer le parfum d’un jus de fruits.
Pas de temps pour rigoler avec les vieux,
Rien que pour nous rafraichir la mémoire.
Pas de temps pour rire avec les enfants,
Rien que pour refleurir notre âme.
Pas de temps pour nous aimer,
Rien que pour remercier le jour de briller.
Pas de temps pour mordre dans la chair de la vie,
Rien que pour nous sentir humains, ensemble et bien vivants.
Pas de temps, pas de temps pour rien,
C’est très exactement ce qu’ils disent,
Dans leurs pays couverts de marchandises, de glace et de tristesse
Ces pays où le temps n’existe plus.
Ces pays où seuls comptent l’or et l’argent.
Nous vivons comme eux,
Hors du temps,
Hors de notre vie,
Hors de la vie,
Et, comme eux,
Nous voilà entrainés
Dans la ronde obscène des zombies,
Hallucinés
Par la danse aveugle et folle,
Des démons de béton, de luxure et d’acier…
Martinique….Novembre 2016.
Art et politique, que l’action redevienne sœur du rêve
Le colonialisme oublié
Patrick Bruneteaux
324 pages 14 x 22 / 24€
Éditions du Croquant, Collection TERRA
ISBN : 9782365120272
Patrick Bruneteaux est chercheur CNRS au Centre de recherches politiques de la Sorbonne. Il a récemment publié Devenir un dieu. Le nazisme comme religion politique. Eléments pour une théorie du dédoublement, Publibook, collection « Université », Paris, 2004, La rue : des rêves à la réalité, Éditions le Temps des Cerises, Paris, 2004.
Rapporter ce constat, mille fois avéré par la littérature comme par les chercheurs, d’un mal-être fondamental des Antillais colonisés ne signifie pas ressusciter une fois de plus les recherches affirmant les multiples dépendances à l’égard de la métropole (colons/-colonisés) ou les effets persistants du racisme dans toutes ses dimensions (Blancs/Noirs). Cet ouvrage entend exhumer une réalité taboue au travers d’une fonction sociale intermédiaire : le rôle des Noirs eux-mêmes dans le maintien de l’ordre esclavagiste et colonial ; ainsi que les circuits sociaux de la reproduction de cette « zone grise » jusqu’à aujourd’hui. D’où le fil directeur de cet ouvrage fondé sur la notion de tripartition : partir des structures socio-raciales de l’Ancien Monde (békés/mulâtres/nègres), et plus particulièrement des rapports de force physiques entre colons, serviteurs et colonisés, pour suivre les transformations progressives de cet ordre relationnel jusqu’à aujourd’hui. Grâce à l’étude fine des représentations des acteurs et notamment des musées, il est possible de lire très distinctement ces jeux d’obédience à l’ordre néo-colonial français : derrière le bruit d’un discours identitaire écran, on repère le travail persistant des mulâtres destiné à dissoudre les traces de leurs actions passées, à brouiller les jeux d’alliances entre élites issues du système colonial, et à légitimer leur pouvoir actuel ainsi que leur prétention à parler au nom du peuple noir.
LE LASOTE
La tradition a du bon. Les maîtres-tambours donnent la cadence pour le lasotè : un rythme pour labourer la terre de bas en haut, un autre pour le billonnage. Les agriculteurs de Fonds-Saint-Denis, une petite commune située au nord de la Martinique, le savent. Depuis une dizaine d’années, ces hommes du terroir pratiquent à nouveau l’art du lasotè comme il se faisait il y a 150 ans dans les hauteurs des mornes.
C’était pour se donner du courage au moment de labourer leurs champs que les paysans avaient recours à des coups de main, ou lasotè en créole. Ainsi, au lieu de travailler des jours durant un seul hectare de terre, ces hommes réalisaient la tâche en quelques heures seulement.
« Nos objectifs ? Encourager les agriculteurs à reprendre la houe et sensibiliser les Martiniquais à cette pratique créée par les « nouveaux libres » après l’abolition de l’esclavage », explique Étienne Jean-Baptiste, membre de l’association l’Esprit lasotè de Fonds-Saint-Denis.
Imaginons une vingtaine de paysans à une extrémité d’un champ, les uns à côté des autres, houe à la main.
À l’autre extrémité, les maîtres-tambours qui donnent la cadence : un rythme pour labourer la terre de bas en haut, un autre pour le billonnage.
Trois crieurs lancent les couplets, trois joueurs de ti bwa (baguettes) s’exécutent sur une canne de bambou, d’autres soufflent dans des conques de lambis. Et ensemble, les agriculteurs labourent à tour de bras la terre au rythme des mots « Lèvè ! Fèssè ».
Né au XIXe siècle — et tombé dans l’oubli en 1960, lors de l’exode rural —, le lasotè a refait surface à la fin des années 1990, au moment de la crise du chlordécone, un pesticide organochloré nuisible à la santé mais utilisé jusqu’en 1993 dans les plantations de bananes. « Puis, la grève de 2009 a bousculé les choses, précise Étienne Jean-Baptiste. Avec les supermarchés vides, les gens ont réalisé qu’ils étaient trop dépendants de l’importation et qu’il fallait manger local. »
Cette pratique ancestrale qui met l’accent sur la solidarité a lieu une fois par mois, le samedi. Un lasotè est toujours accompagné d’un petit marché paysan.
Information: lamartinique.ca.
AFRICA UNITE ! Une histoire du panafricanisme. Amzat Boukari-Yaraba
- sommes-nous africains ? Qu’est-ce que l’Afrique ? De cette double interrogation, née au XVIIIe siècle dans la diaspora africaine déportée aux Amériques, a émergé un vaste mouvement intellectuel, politique et culturel qui a pris le nom de panafricanisme au tournant du XXe siècle. Ce mouvement a constitué, pour les Africains des deux rives de l’Atlantique, un espace privilégié de rencontres et de mobilisations.
De la révolution haïtienne de 1791 à l’élection du premier président noir des États-Unis en 2008 en passant par les indépendances des États africains, Amzat Boukari-Yabara retrace, dans cette ambitieuse fresque historique, l’itinéraire singulier de ces personnalités qui, à l’image de W.E.B. Du Bois, Marcus Garvey, George Padmore, C.L.R. James, Kwame Nkrumah ou Cheikh Anta Diop, ont mis leur vie au service de la libération de l’Afrique et de l’émancipation des Noirs à travers le monde. Mêlant les voix de ces acteurs de premier plan, bientôt rejoints par quantité d’artistes, d’écrivains et de musiciens, comme Bob Marley ou Miriam Makeba, la polyphonie panafricaine s’est mise à résonner aux quatre coins du « monde noir », de New York à Monrovia, de Londres à Accra, de Kingston à Addis-Abeba.
Les mots d’ordre popularisés par les militants panafricains n’ont pas tous porté les fruits espérés. Mais, à l’heure où l’Afrique est confrontée à de nouveaux défis, le panafricanisme reste un chantier d’avenir, insiste Amzat Boukari-Yabara. Tôt ou tard, les Africains briseront les frontières géographiques et mentales qui brident encore leur liberté.
- L’auteur : Amzat Boukari-Yabara est historien et docteur de l’EHESS. Il est notamment l’auteur de Nigeria (De Boeck, 2013), de Mali (De Boeck, 2014) et de Walter Rodney (1942-1980) : les fragments d’une histoire de la révolution africaine (Présence africaine, à paraître).
Extraits de presse :
- Historien, Amzat Boukari-Yabara explore une histoire du panafricanisme de la révolution haïtienne de 1791 à l’élection du premier président noir des Etats-Unis en 2008 en passant par les indépendances des états africains. Le panafricanisme, comme chantier d’avenir, c’est aussi le message de cet essai. 01/11/2014 – Afriscope
- En France, le panafricanisme a fait l’objet de rares études. Dans ses enseignements à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) ainsi que dans l’émission qu’il anime sur RFI, l’historien Elikia M’Bokolo a fait figure de pionnier en développant des réflexions approfondies sur des leaders panafricains comme George Padmore ou Kwame Nkrumah. Etudiant d’Elikia M’Bokolo, Amzat Boukari-Yabara a lui-même suivi ce chemin en consacrant sa thèse de doctorat à Walter Rodney, un militant du Guyana. Avec le présent ouvrage, l’historien se donne toutefois une nouvelle mission: celle de transcender ces études particularistes pour dresser une histoire générale du panafricanisme. La tâche est périlleuse, et le livre cherche à relever le défi de ce que Boukari-Yabara appelle une « énigme de l’histoire ». Le panafricanisme est fait de circulation d’idées, d’acteurs et de symboles. Il est « vagabond », et c’est pour cette raison qu’il faut, pour l’étudier, procéder méthodiquement. […] Retraçant l’histoire complexe de cette idéologie, l’ouvrage devient alors un manifeste politique appelant les populations africaines et afro-descendants à s’inspirer des luttes qu’il décrit pour « se remettre au travail et ouvrir de nouveaux horizons ». Africa Unite ! comble un gouffre dans l’historiographie française sur l’Afrique et les diasporas noires. A ce titre, il est capital. 20/11/2014 – Pauline Guedj – Politis
Collection : Cahiers libres Parution : octobre 2014 Format : EPub |
Prix : 14,99 € ISBN : 9782707185143 Nb de pages : 356 |
http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Africa_Unite__-9782707185143.html
EXHIBIT B : Quiproquo ou analyseur ( Saïd Bouamama).
Publié le 18 décembre 2014 par Said Bouamama
La performance de l’artiste sud-africain Brett Bailley intitulée Exhibit B est l’objet depuis plusieurs semaines d’une forte polémique. Une œuvre présentée par l’artiste et ses soutiens comme « antiraciste » est condamnée comme « racisme déguisé » par plusieurs associations et les milliers de signataires de la pétition réclamant la déprogrammation du spectacle. Les défenseurs du spectacle argumentent en termes de « liberté d’expression artistique » et de « quiproquo » sur le message. Ses opposants dénoncent une « chosification des victimes » ne pouvant que reproduire, même involontairement, les représentations sociales racistes. Les défenseurs dénoncent même « un procès d’intention à l’artiste au motif qu’il est blanc ». Loin d’être selon nous un simple quiproquo et encore moins un procès d’intention, la polémique est un analyseur des contradictions du mouvement se réclamant de l’antiracisme.
Le racisme est un rapport social
Comme toutes les exploitations et les dominations, le racisme n’est pas un objet mais un rapport social. Analysant le capital, Marx souligne que « Le capital est non un objet, mais un rapport social de la production, adéquat à une forme historiquement déterminée de la société et représenté par un objet, auquel il communique un caractère social spécifique[v] ». Un rapport social ne décrit pas une simple relation entre deux groupes sociaux, il relie ces interactions entre groupes à une surdétermination systémique hiérarchisante. C’est cette dimension systémique qui produit à la fois l’exploiteur et l’exploité, le dominant et le dominé, le raciste et le racisé infériorisé.
Elle tend également à produire l’intériorisation du rapport chez les uns comme chez les autres. Nous parlons de tendance parce que, bien entendu, des contre-tendances existent inévitablement du côté du dominé. Si la forme des résistances du dominé peuvent être multiples, elles existent inévitablement : soumission apparente, valorisation de ce qui est déprécié par le dominant, ironie et humour, repli sur soi et fuite du dominant, résistance organisée pacifique ou violente, etc. Avec leurs sens de la formule, Mao et Mandela résument comme suit ce constat : « partout où il y a oppression il y a résistance » et « C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte ».
Cette approche matérialiste du racisme s’oppose aux versions idéalistes multiples : le racisme comme méconnaissance de l’autre, le racisme comme peur de l’inconnu, le racisme comme virus importé, le racisme comme simple héritage du passé, etc. En ne reliant pas le racisme à la société qui le produit quotidiennement, ces approches idéalistes débouchent sur un antiracisme moral et moralisant se proposant de « changer les mentalités » sans remettre en cause le système social lié à ces « mentalités ». Frantz Fanon a parfaitement résumé l’approche matérialiste du racisme et sa différence avec les versions idéalistes : « La réalité est qu’un pays colonial est un pays raciste. Si en Angleterre, en Belgique ou en France, en dépit des principes démocratiques affirmés par ces nations respectives, il se trouve encore des racistes, ce sont ces racistes qui, contre l’ensemble du pays, ont raison. Il n’est pas possible d’asservir des hommes sans logiquement les inférioriser de part en part. Et le racisme n’est que l’explication émotionnelle, affective, quelquefois intellectuelle de cette infériorisation […] Le racisme n’est donc pas une constante de l’esprit humain. Il est, nous l’avons vu, une disposition inscrite dans un système donné »
Ces propos de Fanon n’ont pas vieilli dans la mesure où la France reste un État colonial, encore plus un État néocolonial, intervenant militairement dans plusieurs de ses anciennes colonies, structuré par des discriminations racistes massives et structurelles touchant les descendants de son ancien empire. Ce contexte global mène légitimement à une méfiance lorsque le racisme est abordé, décrit, exposé, mis en scène, chanté, etc., sans intégrer les résistances qu’il a suscitées, les réactions de refus qu’il a provoquées, les révoltes qui lui ont répondu.
Que peut en effet produire l’exposition d’une domination (surtout avec la qualité artistique dont nous ne doutons pas) sans les réactions des dominés ? De la commisération, de la pitié, de l’émotion, etc., c’est-à-dire exactement l’inverse de ce dont ont besoin ceux qui sont par leur histoire ou leur présent connectés à cette domination. Pour eux, le besoin n’est pas la pitié mais l’égalité, il n’est pas la commisération mais la dignité. Sans remettre en cause la sincérité de la profession de foi antiraciste de l’auteur, il faut s’interroger sur la distance (sociale, politique, émotive, etc.) qu’elle révèle entre lui et ceux qui subissent encore aujourd’hui le racisme. Plus largement, la polémique en cours à propos de cette performance est un analyseur de la distance entre les grandes organisations antiracistes et ceux qui subissent quotidiennement ce rapport de domination, rapport qui se traduit quotidiennement en inégalités, discriminations et humiliations.
Objet parlé ou sujet parlant ?
La polémique actuelle n’est pas nouvelle. Ce qui est peut être nouveau, c’est qu’elle s’exprime à propos d’une expression artistique. Les polémiques du début de la décennie 80 entre les « marches pour l’égalité » et le mouvement SOS Racisme étaient de même nature[ix]. Aujourd’hui comme hier la question est celle du statut du groupe social : objet parlé ou sujet parlant ? Il est vrai qu’à l’époque également le soutien aux tenants de « Touche pas à mon pote » a été massif à gauche, alors qu’il suscitait la colère des quartiers populaires.
La question n’est ni secondaire, ni dépassée pour des raisons politiques essentielles. En premier lieu, l’élimination (volontaire ou non, le résultat est identique) de la parole des premiers concernés ne peut pas ne pas rappeler le processus de chosification au cœur du rapport raciste en général, du rapport esclavagiste et colonial plus particulièrement. Ce n’est pas un hasard si Césaire dans son discours sur le colonialisme parle autant des sens : « je vois », « j’entends », « je parle », etc. C’est que toutes les dominations nécessitent une disparition de l’expression des dominés, de la prise en compte de ce qu’ils voient, entendent, ressentent, etc. Ce n’est pas pour rien non plus que l’émancipation s’accompagne d’une prise de parole, d’une sortie de l’invisibilité, d’une affirmation de ce qui est vécu et invisibilisé. Abordant cette négation du « sujet parlant », l’historienne Marie Rodet nous donne la description suivante de l’ethnographie coloniale : « La différence fondamentale posée par le colonisateur/ethnographe face à l’Africain est la suivante : le premier écrit sur, tandis que l’Africain est écrit par ; pour ce dernier, le rôle assigné est la passivité tandis que le premier détient le pouvoir d’observer, d’étudier[x]. »
Comment s’étonner dès lors des réactions à Exhibit B en Angleterre comme en France, comme partout où il y aura des descendants de l’esclavage et de la colonisation ? Ce qui est plutôt étonnant, c’est l’absence d’anticipation de ces réactions. Ce qui est surprenant, c’est leur invalidation en parlant de quiproquo, d’attitudes de censeurs qui n’ont même pas vu le spectacle, de jugement sur le simple fait que l’artiste est « blanc », etc.
En second lieu, la logique de prise en compte des racisés comme « objets parlés » et non comme « sujets parlant » ne peut qu’être productrice d’une cécité sur le monde social. La perception de la réalité qui élimine la subjectivité des dominés ne peut pas percevoir et même pas s’approcher de l’ordre des priorités qui s’imposent à eux. Comment prétendre parler de l’oppression sexiste si l’on est un homme et que l’on ne se pose pas la question de notre détermination sociale comme homme ? Comment prétendre prendre en compte la domination raciste si l’on est un blanc et que l’on ne se pose même pas la question de notre détermination sociale comme membre du groupe « majoritaire » ? Comment penser pouvoir restituer l’exploitation ouvrière, si l’on appartient aux couches moyennes et que l’on ne se pose même pas la question de notre détermination de classe ?
Prévenons deux faux débats. Nous ne pensons pas que la lutte antiraciste ne soit possible que menée par les racisés, que la lutte antisexiste ne soit possible que menée par les femmes ou que la lutte anticapitaliste ne soit possible que menée par les ouvriers. Nous disons simplement que la lutte anticapitaliste n’est pas possible sans les ouvriers, etc. Nous disons également que les prises de position, les analyses, les priorités, etc., doivent se donner les moyens d’une confrontation avec la subjectivité des dominés. Le second faux débat est celui de la véracité du point de vue des dominés. Nous ne pensons pas que le simple fait d’être dominé suffit, en lui-même, à la compréhension du rapport de domination. Mais dire cette banalité ne signifie pas nier que l’expérience d’une domination est un facteur (certes parmi d’autres) de la conscience politique.
Toute présentation du dominé qui n’intègre pas sa révolte contre la domination qu’il subit contribue à le chosifier, à le construire comme passif, à le déshumaniser. Les cartes postales de l’époque coloniale étaient emplies de ces clichés où le colonisé miséreux supportait son sort avec fatalité. L’orientalisme en fera un de ses leitmotivs essentiels. Volontairement ou non, ce qui se révèle ici est une perception de l’autre passif et soumis. Or cette perception est l’antichambre d’une autre : celle du dominé consentant à sa domination.
Le fraternalisme
Encore une fois, nous ne nions pas la sincérité antiraciste de l’artiste mais cela ne peut pas clore le débat. Le propre d’une domination est de ne pas apparaître comme telle aux yeux même du dominant. On peut bien sûr être raciste sans le savoir, sans le vouloir et même en étant persuadé de ne pas l’être. C’est une des premières choses qu’apprend le dominé lorsqu’il enclenche son processus d’émancipation : ne pas se fier aux idées qu’une personne ou qu’un groupe se fait de lui-même et ne le juger uniquement que sur ses actes. Aimé Césaire a décrit admirablement le rapport social qu’il a appelé « fraternaliste » entre des camarades persuadés être anticolonialistes et lui-même. Cela l’a conduit à ne juger que sur les actes et non sur les professions de foi : « Inventons le mot : c’est du « fraternalisme ». Car il s’agit bel et bien d’un frère, d’un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend par la main (d’une main hélas ! parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait trouver la Raison et le Progrès […] Dans ces conditions, on comprend que nous ne puissions donner à personne délégation pour penser pour nous ; délégation pour chercher pour nous ; que nous ne puissions désormais accepter que qui que ce soit, fût-ce le meilleur de nos amis, se porte fort pour nous »
La polémique à propos d’Exhibit B est un analyseur de la tentation fraternaliste encore trop présente à gauche et du refus grandissant de celle-ci par les populations issues de l’esclavage et de la colonisation d’une part et par des militants antiracistes refusant d’occulter la dimension systémique et politique du racisme d’autre part. Elle en annonce de nombreuses autres à chaque fois que le fraternalisme se déploiera dans la sphère artistique ou dans les autres sphères de la vie sociale. C’est une bonne nouvelle pour notre société que l’émergence de ces postures de vigilances collectives, même si cela peut dans un premier temps paraître laborieux aux uns et douloureux aux autres. Seule, la rupture avec le fraternalisme peut créer les bases d’une alliance qui ne soit pas une subordination pour reprendre encore une fois Aimé Césaire[xii] . Le mouvement antiraciste dont nous avons tant besoin aujourd’hui ne pourra pas se construire sans cette alliance qui exclut la subordination.
Le poids des médias lourds
La prestation de Brett Bailley a reçu de nombreux soutiens. L’ensemble des journaux se sont emparés de l’affaire avec une convergence impressionnante des analyses. La logique des différents papiers et reportages est similaire et binaire : les uns seraient antiracistes, pour la liberté d’expression et pour le dialogue ; les autres seraient des censeurs, portés par le ressentiment et partisans de la violence. Il suffit d’observer dans le passé les moments d’une convergence aussi forte pour s’apercevoir qu’ils correspondent à des moments de prises de parole des dominés. Nous avons connus cela dans le soutien à SOS Racisme, au moment des dites affaires du foulard, dans la mobilisation des jeunes des quartiers populaires sur la Palestine ou dans les mobilisations contre les interventions militaires françaises en Afrique. A chaque fois, la parole perturbatrice est stigmatisée et réduite pour ne laisser place qu’à un discours bisounours consensuel. Le second procédé journalistique fortement mobilisé dans la couverture médiatique de la polémique est l’appel à des « spécialistes » sociologues, historiens ou anthropologues qui, par « l’argument d’autorité », viennent porter un jugement. Ce procédé construit les contestataires comme irrationnels, portés par l’émotion irraisonnée et ne se situant que dans la réactivité. L’accusation de « racisme anti-blanc » n’est pas loin et est présente implicitement dans de nombreux articles. Se taire face à ce qui est perçu comme humiliant ou courir le risque d’être construit comme idiot, irrationnel et « raciste anti-blanc », telles sont les deux seules alternatives que laisse la violence symbolique de la scène médiatique dominante.
Le troisième procédé médiatique utilisé fut l’appel au témoignage des spectateurs décrivant tous de manière unanime le caractère antiraciste de l’œuvre. Les spectateurs noirs sont particulièrement appréciés. Il s’agit ici de nouveau de procéder de manière binaire en opposant les « bons » qui témoignent en ayant vu le spectacle et les « mauvais » qui réagissent en n’ayant même pas vu le spectacle. Pour la plupart, ces témoignages parlent d’ailleurs de leurs émotions et nous n’avons aucune raison de les mettre en doute. Mais la question n’est pas là. Les questions posées sont celles de la signification et du message politique de l’œuvre d’une part et celle des effets de ce message dans la société française telle qu’elle est aujourd’hui d’autre part. Force est de constater que cette société reste irriguée par de multiples représentations sociales infériorisantes et de nombreux préjugés hiérarchisants. De surcroît, le contexte de crise et sa conséquence en termes d’augmentation de la « concurrence pour les biens rares » ne font que raviver les unes et les autres.
Enfin, la construction médiatique de l’Afrique et de l’Africain d’aujourd’hui dans le monde médiatique et politique entretient ces images. Ce continent apparaît aux yeux du Français moyen comme celui des guerres « étranges » qui secouent ces continents et que l’on n’explique surtout pas par les intérêts économiques en jeu mais à partir de grille « ethniciste », « tribaliste », « de haines ancestrales », etc. Il apparaît également comme celui de la corruption généralisée, sans relier celle-ci aux donneurs d’ordres qui se trouvent dans les multinationales, en particulier françaises. Il apparaît enfin comme celui des maladies « étranges » dont la propagation fait peur sans les relier à l’état des services de santé détruits par les plans d’ajustement structurel du FMI. C’est ce Français moyen-là qui reçoit le message et non un Français abstrait qui se serait débarrassé par magie de ces représentations et de ces préjugés. Voici le résultat d’une enquête menée au début des années 90 par l’université du Wisconsin, consistant à recueillir les images de l’Afrique et des Africains auprès des étudiants blancs : « L’Afrique est : couverte de jungle ; un grand safari ; tombe en morceaux ; un continent où la famine sévit ; pleine de la guerre ; montée du sida, déchirée par l’apartheid, bizarre, brutale, sauvage, primitive, en arrière, tribale, sous-développée, et noire »
A moins de considérer que la France est préservée de ces images, force est d’être vigilant à la réception des messages concernant l’Afrique et les Africains. Si certains peuvent considérer comme secondaire la réception d’une œuvre, d’autres ne peuvent pas se le permettre, tant sont grandes les répercussions sur leur vie quotidienne.
La polémique autour d’exhibit B est un analyseur des verrous de la pensée qui bloquent l’émergence d’un antiracisme systémique et politique.
* Source : Investig’Action
https://bouamamas.wordpress.com/2014/12/18/exhibit-b-quiproquo-ou-analyseur/#more-118