Nous voila devenus, nous Martiniquais, semblables à ces indiens des westerns à l’eau de colon que nous allions voir le dimanche au cinéma, après avoir ingurgité les louchées de sermons au vinaigre du curé.
Comme des indiens dans une réserve, à nous chamailler pour une bouteille d’alcool frelaté, un regard de travers ou une paire de fesses usagées, pendant que les gentils pionniers installent leurs roulottes sur les terres de nos ancêtres.
Nous sommes comme des indiens dans un mauvais western d’Hollywood.
Nos terres ont été empoisonnées par les voleurs d’avenir et les marchands de pacotilles.
Nos femmes se comportent comme des écervelées frivoles qui font les coquettes dans les diligences à la mode ou se disputent les morceaux de chiffons bariolés des magasins des colons.
Nos fils sont devenus des voleurs à la petite semaine qui s’entretuent pour un mulet de fer, une barrette de crack, une poignée d’euros ou juste pour le plaisir de faire gicler le sang.
Nos hommes soupèsent leur virilité dans des bouteilles de rhum tord-cervelle fabriquées par des contrebandiers amis des grands planteurs.
Nos vieux, dans un coin de l’écran, crèvent, emmurés dans la solitude et la tristesse avec leurs vieilles histoires du passé que plus personne n’écoute.
Pendant ce temps, les gentils visages pâles installent leurs roulottes et plantent leurs chimères d’Eldorado sur les terres de nos ancêtres.
Nous sommes comme ces indiens de la réserve du grand Manitou que nous allions visiter le dimanche au cinéma après avoir ingurgité les louchées de sermons au vinaigre du curé.
Sur le grand écran de l’histoire, dans un nuage de fumée médiatique, notre vie s’effiloche au triple galop.
Jamais l’on ne voit nos visages sombres ni nos têtes crépues, jamais l’on n’entend nos voix et nos cris, seulement le vacarme des caravanes, la ronde impitoyable du progrès-consommation et les rires des pionniers qui plantent leurs piquets de propriétaires et accrochent leurs barbelés d’acier aux entrailles de notre terre.
Le film maintenant tire à sa fin.
L’indien sauvage se balance au bout de la corde de la civilisation, et nous descendants de nègres d’Afrique, cargaison incongrue du passé, oubliée sur une plage tropicale par un coursier mandaté par Louis le quatorzième, amnésiques, déboussolés et abrutis par les livres d’école du colon, nous sommes en train de trépasser, à tout petit feu, gorgés d’alcool, de chimères, de stupéfiants et de marchandises, piétinés par les sabots d’acier des supermarchés.
Au journal télévisé, chiffonné, bâillonné, le shérif du comté, le doigt sur la détente, passe en hélicoptère dans le ciel tricolore et sur la ligne d’horizon de la terre promise, les pionniers utilisent les éperons de leur jolie langue fourchue pour réécrire le scénario de l’histoire, pendant que se succèdent les publicités ensoleillées, gesticulent les bandits en costumes trois-pièces, s’activent les marchands de pizzas et de Pig-Mac, défilent les interminables rangées de chômeurs subventionnés, se contorsionnent les serpents à sonnettes et paradent les véliplanchistes de carnaval.
Comme des indiens dans un très mauvais western d’Hollywood.