Soigneusement camouflée derrière le discours pan-économiste dominant, la mondialisation se donne à voir comme un phénomène de nature essentiellement économique.
Pourtant ce qui confère à la globalisation une grande part de son terrible pouvoir de persuasion et de sa redoutable efficacité, c’est cette sorte de magma idéologique, cette manière de culture dont le phénomène est auréolé et qu’il secrète de pernicieuse façon tout au long de son apparente incontrôlable expansion.
Notons tout d’abord que, sous ses faux airs de modernité, cet agrégat idéologique n’est en fait qu’un nouvel avatar des valeurs centrales du capitalisme classique :
• Une philosophie néo darwiniste (le monde appartient aux plus forts)
• Une philosophie hédoniste de la jouissance immédiate (jouir de l’instant) qui érige l’irresponsabilité sociale au rang de principe existentiel.
Ainsi, ce discours qui se drape souvent dans les artifices formels du discours scientifique, ou se dissimule derrière de séduisantes philosophies de la passivité, renforce et légitime, tout autant qu’il l’occulte, ce qui constitue l’essence même du processus de mondialisation : la dictature brutale, implacable et systématique des économies et des cultures « dites développées » (prioritairement celles du monde anglo-saxon) sur les autres.
Dit autrement, la mondialisation est, en même temps , un projet politique et un discours de légitimation de l’ordre des choses imposé par les « maîtres du monde ». Ce discours de légitimation, à son tour, se dédouble, pour les peuples dominés, en une philosophie de l’impuissance, de la passivité, du désespoir et de la soumission.
Les traits dominants de ce substrat culturel généré par la mondialisation sont :
• Le culte forcené de l’argent et l’imposition idéologique systématique d’une vision essentiellement matérialiste de l’existence.
Dans cette perspective, la recherche de l’argent et l’accumulation névrotique de biens matériels constituent le noyau de l’existence des individus et l’unique finalité des actes qu’ils posent dans la vie.
Cette philosophie obsessionnelle de l’avoir (à la frontière de la pathologie mentale) et le remodelage douloureux des relations humaines qu’elle provoque, entraîne dans son sillage un long cortège de souffrances affectives et morales et une déliquescence croissante des rapports interpersonnels dont l’impact mortifère se répercute dans toutes les sphères de la vie sociale ;
• L’apologie de l’individualisme dont l’expression paradigmatique est ce culte du corps bardé des scarifications rituelles des grandes marques, devenu à la fois l’ultime bastion du narcissisme, un objet, une marchandise, la cible privilégiée des annonceurs publicitaires et l’esclave docile de l’impitoyable tyrannie des multinationales de la mode ;
• Une survalorisation des plaisirs éphémères et de la sexualité perverse dont la conséquence la plus visible est cette pornographie galopante qui envahit peu à peu l’espace télévisuel, le champ de la publicité, le cyberespace de l’Internet et d’une façon générale tout l’univers mental de la société.
Ainsi se diffuse une vision dégradée de la sexualité où l’obscénité devient la pierre angulaire d’une nouvelle morale qui se revendique cyniquement des valeurs de la modernité et de la liberté alors qu’il ne s’agit que de perversité et d’inféodation à l’industrie du sexe, de la pornographie et de la prostitution ;
• Le culte à peine voilé de la violence, de la force brute comme mode privilégié de résolution des conflits interpersonnels, qui contribue à la diffusion d’une agressivité quasi-permanente au sein des structures sociales particulièrement chez les jeunes esprits en formation qui subissent de plein fouet cette surexcitation des plus bas instincts humains faisant régresser l’humanité à un état proche de la barbarie des premiers âges.
De fait, en contrepoint de l’impitoyable guerre économique qu’est la mondialisation, une bataille collatérale silencieuse se déroule aujourd’hui dans les coulisses de l’histoire.
Une bataille dont l’objectif affirmé est, pour les maîtres du monde, de s’assurer la maîtrise des facteurs de production symboliques et d’accélérer le processus d’intériorisation idéologique par les peuples asservis de ce rapport de domination et la soumission (la plus volontaire possible) aux règles et aux valeurs qui le fondent.
Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que tout modèle de développement économique, en tant qu’il se fonde sur un système de représentations du monde et sur un projet implicite de société, est d’abord une idéologie en action.
Ainsi, l’objectif stratégique ultime de la mondialisation économique, qui vient en quelque sorte parachever l’œuvre de domination, consiste en la destruction (ou en l’appropriation) méthodique des systèmes culturels (c’est-à-dire des systèmes symboliques élaborés tout au long des siècles par les divers peuples de la terre) afin de bloquer « à la source » toute possibilité d’émergence d’un discours critique alternatif pouvant faire obstacle à la logique capitaliste libérale dominante et à la philosophie et aux valeurs qui en constituent le substrat « moral ».
Le combat fait déjà rage et la cible privilégiée clairement définie : la jeunesse de la terre, les consciences en formation, les décideurs de demain.
Les armes utilisées sont judicieusement dissimulées dans ces magnifiques et très respectables chevaux de Troie que constituent les nouveaux instruments dits de communication (l’Internet, le téléphone cellulaire, la télévision satellitaire etc..) qui servent de vecteurs discrets et terriblement efficaces dans cette stratégie d’asservissement des esprits, de destruction patiente et organisée des repères culturels traditionnels et de restructuration radicale des consciences.
D’où cette volonté acharnée à vouloir nous embarquer dans le train de la modernité et du développement – pour un voyage dont la destination nous est d’ailleurs complètement inconnue-.
D’où cette insistance presque suspecte à vouloir nous intégrer dans la grande toile d’araignée (le nom même est évocateur) des nouvelles technologies.
Car l’étape ultime d’un rapport de domination c’est celle où le dominé s’approprie le discours du dominant l’intériorise jusqu’à le faire sien et consacre par là même sa propre néantisation.
Le pendant culturel de la globalisation économique signifie donc à terme pour la planète la disparition pure et simple de tout l’édifice culturel moral et spirituel élaboré par les civilisations passées et son remplacement par ce clone arrogant de la tour de Babel mensongèrement baptisé mondialisation.
Le modèle social enfanté par cet abominable projet en est à ces premiers pas, mais les vagissements du bébé qui résonnent bruyamment aux quatre coins de la terre nous édifient à suffisance sur le caractère monstrueux de la créature.
Ainsi, au bout du processus largement amorcé de mondialisation économique on voit poindre le spectre horrible de l’unidimensionnalité du monde, de la standardisation culturelle planétaire.
Même si le discours s’est affiné et se drape souvent dans les oripeaux sémantiques de la modernité, bien que les stratégies se soient considérablement complexifiées et s’articulent souvent de manière perverse avec les prodigieux acquis de la science et de la technique, la barbarie de l’œuvre en cours n’en est pas moins terriblement angoissante.
Car le jour où d’un bout à l’autre de la terre, les hommes, également enchainés, penseront de la même manière, porteront les mêmes habits, nourriront les mêmes rêves, mangeront les mêmes plats, écouteront la même musique (tout cela usiné dans les multinationales high-tech de Big brother); ce jour là l’enfer (qui aura vraisemblablement le sympathique visage d’un méga-supermarché aseptisé et la voix doucereuse d’une hôtesse virtuelle cybernétique) aura ouvert boutique sur notre belle planète bleue.
Claude Ledron.